A l’occasion de son acquisition par Alain Ducasse en juillet dernier, je suis allée voir de plus près ce que racontait cette maison historique à deux pas de Saint-Michel et interviewer son chef Laëtitia Rouabah il y a quelques jours. Allard, c’est une histoire de femmes qui démarre en 1932, d’abord avec le chef Marthe Allard, une bourguignonne montée à Paris avec ses recettes de famille. Quand on arrive, l’entrée du restaurant donne directement sur la cuisine et ses femmes (Laëtitia Rouabah a deux adjointes) et ses hommes, c’est très surprenant. On me dit que c’est l’un des rares établissements de Paris disposé ainsi. La petite salle des origines a conservé son comptoir en zinc des années 1930 et ses grilles aux fenêtres d’ancien marchand de vin. L’autre salle plus cossue avec ses murs recouverts de tissus et ses tables serrées et disposées dans tous les coins a le charme de l’ancien, bien tenu et avec son brin de nostalgie. J’aime ce que je vois dans un petit coin, la table roulante avec les gros gâteaux qui défileront plus tard dans le déjeuner. La carte passe d’une région à l’autre, avec des plats de tradition, savoureux et évoquant la générosité.
Des petites tranches de pâté croûte sont servies pendant l’interview. Pas facile de résister, malgré le crayon en main et l’extrême concentration sur les propos du chef. A un moment donné pourtant, je ne résiste pas, j’y mets la main et comprends tout de suite qu’il vaut mieux m’arrêter et reprendre quand tout sera fini tellement c’est bon. Des filets de volaille, un peu de foie gras, une fine croûte légèrement beurrée, beaucoup de tendreté pour l’ensemble, c’est le pâte en croûte d’Arnaud Nicolas (MOF charcutier en cuisine, au restaurant Le Boudoir, Paris 8e). Les pickles tranchent carrément, acérés par le vinaigre et le croquant.
Les asperges vertes avec leur saucière de sauce mousseline au vin jaune. Je crois que la photo parle d’elle-même… J’ajoute qu’il y a un élément de la table qui me met en joie, c’est cette profusion ou une certaine idée du banquet pour moi seule. Dès le début du repas, le pain, le beurre, les mises en bouche, les entrées ou les plats qui seront servis en différents plats recouvrent la table d’envies. On se sait jamais où donner de la tête et par quoi se laisser tenter. Cette profusion, je dois dire que je l’ai rencontrée dans tous les restaurants d’Alain Ducasse où j’ai pu m’attabler (pas les plus étoilés, je n’y suis allée encore) et pour ma part, je trouve que cela participe aussi de la fête du repas au restaurant.
Voici la saucière, je ne l’ai pas finie, mais avant d’estimer que je ne pouvais aller plus loin, j’en ai pris quelques cuillères que j’ai pris le plaisir de déguster seules ou alors avec un peu de pain (et puis j’avais fini les asperges à ce moment là). La crème fouettée pour un peu de fraicheur, le côté mousseux, la pointe d’acidité et de gras et les accents de noix du vin jaune avec sa longueur en bouche, c’est terrible une mousseline comme ça.
La joue de bœuf et ses carottes. Ce dont on ne se rend peut-être pas compte sur la photo, c’est que les carottes sont en énormes tronçons et que la joue est servie entière. Rarement vu aussi fondante, la viande se détache avec bonheur, la sauce est pour le moins dense et serrée, riche en vin et en saveurs et à la fois fine en texture. Les carottes sont elles bien fermes. Le chef m’a expliqué faire dans son bistrot Allard les mêmes jus et sauces que dans un restaurant étoilé… Le plat est sur la table, je me ressers au fur et à mesure et finis aussi par déguster la sauce à la cuillère, mais laisserai quand même un morceau de joue dans l’assiette (je déteste ça hein).
Savarin à la mie très alvéolée et à la pâte très imbibée de sirop. Il ne contient pas d’alcool pour l’instant et c’est le jeune sommelier qui apporte trois bouteilles de rhum qui va m’orienter. Il y a alors ce petit moment de grâce où le jeune sommelier passionné vous conte les caractéristiques des trois et où l’on sent que sa préférence va au dernier (le plus intense). On se rend compte à cet instant précis qu’on a surtout envie de se laisser faire et que c’est lui qui a décidé pour nous. La crème fouettée et légèrement vanillée arrive dans un plat à côté, le directeur de salle vous dresse les cuillères sous le nez.
Les griottes à l’eau-de-vie servies à la fin du repas sont terriblement goûteuses et parfumées, des petits bonbons alcoolisés.
Les prix ? Menu déjeuner à 34 € (servi du lundi au dimanche), à la carte, ça peut chiffrer un peu selon ce que vous choisissez. De la frisée jaune aux lardons et croûtons (un saladier) à 12 € aux escargots à 27 €, de la joue de bœuf fondante à 26 € à la darne de turbot pochée au beurre blanc ) 46 €, de la crème caramel (terrible) ) 9 € aux profiteroles, sauce au chocolat chaud à 12 €. Ouvert 7 jours sur 7.
Allard, 41 rue Saint-André des Arts, 75006 Paris, 01 43 26 48 23, métro Saint-Michel, Odéon