La bergamote est un fruit hybride entre l’orange amère et le citron. En gastronomie, elle évoque le thé Earl Grey, un thé noir parfumé à l’arôme de bergamote (naturel ou de synthèse), la Bergamote de Nancy et puis la suave crème aux œufs parfumée à la bergamote que le chef Jean-François Piège glisse en mignardise à la fin du repas (le chef est un grand amateur de thé Earl Grey). La Calabre, à la pointe sud de l’Italie, est une historique région productrice et à l’occasion d’une conférence organisée par l’Osmothèque (l’unique conservatoire des parfums, les formules les plus anciennes y sont conservées, on trouve même celle de l’eau de Cologne de Napoléon Ier ! Je vous invite à vous rendre sur le site et à suivre le programme de leurs conférences), avec le producteur Gianfranco Capua et le parfumeur Thomas Fontaine, j’ai pu en découvrir d’autres facettes. Chez Gianfranco Capua (maison Capua 1880), la précieuse bergamote est uniquement récoltée à la main. Selon le terroir des parcelles (il y en a trois terroirs différents, selon la terre, l’ensoleillement et l’altitude) et la période de récolte (de novembre à février), l’agrume révèle une très large palette de nuances, allant du vert au jaune très mûr (les molécules évoluant, cela change le goût et le parfum), qui se prêtent à des utilisations différentes. Si les notes sont très vertes en début de récolte, elles vont vers une douceur et un aspect plus floral en mûrissant.
En parfumerie, la bergamote est l’agrume le plus noble selon le producteur (viennent ensuite la mandarine, le citron et l’orange). Pour expliquer l’extraction de l’huile essentielle à partir du fruit récolté, le producteur a une image que j’adore, « le parmesan, il faut le gratter. La bergamote, c’est pareil, on la gratte pour obtenir l’huile essentielle ». Et pour une infime partie de sa production, il a conservé un mode d’extraction très ancien (1750) qui consiste à presser le zeste sur une éponge, puis à presser l’éponge afin d’obtenir selon lui l’une des meilleures qualités d’huile essentielle. Dans l’huile essentielle de bergamote, on trouve 357 ingrédients différents (imaginez la complexité !), un magnifique terrain de jeu pour les parfumeurs qui l’utilisent pour un nombre vertigineux de parfums.
C’est là qu’intervient le parfumeur Thomas Fontaine. A partir de mouillettes (touches) qui sont distribuées à chacun dans la salle de conférence (et que l’on peut conserver dans de fines enveloppes individuelles), il nous fait découvrir les uns après les autres 19 parfums qui contiennent de la bergamote. Thomas Fontaine donne la date de création, le nom du parfumeur, le contexte dans lequel le parfum a été créé et ce qui fait son accord. On commence évidemment avec une huile essentielle de Gianfranco Capua, puis son huile essentielle de petit-grain de bergamotier qui correspond à l’extraction des feuilles de l’arbre. C’est évidemment bien plus végétal que floral, « le côté boisé est donné par la présence des branches » ajoute le producteur. La suite, c’est l’histoire de la parfumerie…
Avec l’Eau de Lubin créée en 1798 dont les notes épicées et aromatiques font aussitôt prendre conscience que l’eau parfumée était à l’époque utilisée pour ses vertus médicinales (elle me fait penser à l’odeur de l’armoire à pharmacie de ma grand-mère, c’est drôle, c’est à la fois fort et rassurant), puis l’eau de Cologne de Napoléon 1er (1820). Imaginez que Napoléon Ier qui en faisait une grande consommation portait toujours un tube dans sa botte ! Avant d’aborder la famille ambrée avec Shalimar (maman !) de Guerlain (1925) qui contient beaucoup de bergamote et aussi de la vanille, Eau d’Hermès (1951) avec le cumin en forte dose, Gnin Fizz de Lubin (1955) qui contient de la fleur d’oranger, de la baie de genièvre, Eau Sauvage de Dior (1966) basilic et jasmin, Cristalle de Chanel (1974), Eau de Givenchy (1980), pamplemousse, cassis, Eau parfumée au thé vert de Bulgari (1992), Earl grey, coriandre, cire d’abeille, CK One de Calvin Klein (1994), Fleur d’ombre Bergamote de Jean-Charles Brosseau (2009), mousse de chêne, fève de tonka, Très Russe de l’Institut Très Bien (2017), fève tonka, les deux derniers ayant été créés par Thomas Fontaine…
Quand on a demandé au producteur ce qu’il recommandait comme utilisation en cuisine de la bergamote, il a aussitôt répondu « une bergamote, c’est très amer à manger. Utilisez 1 bergamote pour 7 ou 8 oranges et vous obtenez un jus délicieux. Sans compter que la bergamote contient 7 fois plus de vitamines que le citron ». Vous savez tout !