Histoire, de l’art, c’est ma formation d’origine. Six années à étudier l’histoire depuis l’art pariétal (j’ai toujours rêvé de réutiliser ce mot, qui veut donc dire l’art exprimé par les hommes sur les parois des grottes qui les abritaient) jusqu’à l’art contemporain. Les trois dernières années, je les ai passées plus spécifiquement sur le peintre Gustave Moreau et les relations qu’il entretenait avec ses élèves. Durant les dernières années de sa vie, de 1892 à 1898, l’artiste était professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris et parmi ses élèves, des graines de grands artistes recevaient son enseignement avec attention (Henri Matisse et Georges Rouault, pour ne citer qu’eux et Edgard Maxence, dont des tableaux au Musée des Beaux-Arts de Nantes, où j’avais fait un stage, m’avaient fait me pencher sur le sujet). Le professeur avait avec ses élèves des relations fortes qui se traduisaient notamment par des témoignages écrits, des lettres qu’ils s’envoyaient entre eux et des hommages que les élèves rendaient à leur professeur, que j’ai passé des mois à décortiquer. Récemment, je suis retournée au Musée Gustave Moreau, un lieu qui avait d’abord appartenu aux parents de Gustave Moreau et que celui-ci avait souhaité faire transformer en musée à sa disparition. Cette maison musée, entre 2000 et 2002, j’y ai passé des heures à lire des lettres. J’avais alors accès à une pièce réservée aux recherches. J’arrivais au petit matin et prenais place à un large bureau croulant sous les piles de documents qui avait je crois appartenu au maître où en tout cas la vieille conservatrice du Musée et les étudiants passaient du temps à travailler. J’avais entre les mains les lettres qui étaient passées entre celles des artistes, je m’imprégnais de leurs mots, de leurs sentiments, de la fascination qu’exerçait le maître sur ses élèves, j’observais les ratures, les belles écritures et je me sentais extrêmement privilégiée.
Aujourd’hui, je n’ai plus accès à ce bureau magique, mais j’ai (re)visité toutes les pièces du musée et ce fut un enchantement, différent de celui que j’avais eu à 20 ans, mais un enchantement tout de même. Il s’agit d’une maison musée et ça, pour moi, ça revêt quelque chose de particulier. Il s’agit de visiter les pièces où les membres d’une famille ont vécu, collectionné (le père de Gustave Moreau collectionnait des objets de l’antiquité), créé, peint, communiqué… Alors traverser ces petites pièces décorées des meubles d’époque (parfois très serrés, on sent qu’il y avait un maximum de choses à faire entrer), observer les photos de famille, les portraits peints d’une mère, d’une sœur, l’échiquier, le lit, le canapé, les fauteuils au tissu bouloché, ça bouleverse. Et puis parmi les portes du 1er étage, je l’ai aperçue… Celle qui ouvre sur le bureau où j’avais pu travailler des années plus tôt. La porte étant en verre gravé, on ne distinguait pas tout à fait ce qu’il y a derrière. Mais comme elle était entrouverte, je l’ai un tout petit peu poussée du bout du doigt pour apercevoir une nouvelle fois la pièce. Un chercheur à lunette était assis derrière le bureau. J’ai failli pousser plus la porte afin de me présenter et de lui dire que cela me ferait plaisir de pénétrer une nouvelle fois ce bureau et puis je me suis ravisée.
La visite se poursuit par les étages dont l’un avait été fait ajouter du vivant de l’artiste, afin de devenir d’immenses ateliers où Gustave Moreau travaillait. Aujourd’hui, on y observe les toiles au format gigantesque, thèmes de la bible, de la mythologie, femmes envoûtantes, embijoutées, style précis, vif, coloré, impressions d’inachevé, je vous laisse découvrir tout ce qui est représenté. Sans oublier de jeter un œil à la palette pleine de peintures séchées et à la boîte de tubes déformés par les doigts qui ont appuyé, c’est sûr, l’artiste est encore là à veiller.
Musée Gustave Moreau, 14 rue de la Rochefoucauld, 75009 Paris, métro Trinité