J’étais venue chez Table peu après l’ouverture, je vous le racontais ici. Quelques 18 mois plus tard, je suis revenue et je dois dire que j’ai beaucoup aimé la maturité que le restaurant a pris. A la façon dont le comptoir en étain sur lequel on mange s’est poli, le toucher est encore plus confortable, il se fond avec la température du corps. Assis à ce comptoir dans le prolongement de la cuisine, on assiste à des gestes qu’on n’a pas l’habitude de voir au restaurant, le cochon de lait qu’on arrose et dont on enlève les chairs, les langoustines qu’on découpe vivantes (et hop un dernier coup de queue). C’est la volonté de Bruno Verjus, l’ancien chroniqueur d’Omnivore, du Fooding, d’On ne parle pas la bouche pleine sur France Culture et de l’un des blogs les plus instructifs en ce qui concerne le travail des artisans. D’ailleurs, le chef définit son restaurant comme « la maison des artisans ». Et ce pain ! Fabriqué par la maison à partir des farines des blés cultivés et moulus par Roland Feuillas à Cucugnan, il a des accents de caramel et de levain, le croustillant parfait et la densité qui fait qu’on ne peut pas le lâcher.
Cela commence ainsi. Une belle tranche de foie gras recouverte en partie par des fèves de cacao crues de Sao Tomé et Principe (peut-être celui de Claudio Corallo), du poivre à queue du Bénin et des cristaux de sel. J’en enlève un peu et j’ajuste à chaque bouchée. Et comme j’adore les fèves de cacao, je ne vais pas manquer de les finir à l’issue de cette entrée. J’ai l’impression que ça rince la bouche (comme le café) et que ça libère une énergie torréfiée et délicieuse (ce qui est en partie vrai, puisque c’est bourré d’alcaloïdes, héobromine, caféine et théophylline). Le foie gras a une texture inconnue jusqu’alors. C’est à dire qu’il est souple et fondant comme un mi-cuit, mais sans cette sensation rosée qui peut être à la limite du cru et qui n’est pas toujours agréable. En fait, il est rôti entier au sautoir et c’est exactement comme ça que je voudrais le déguster toujours.
La langoustine ferme et son émulsion huile d’olive et agrumes, chaque petite bouchée est un enchantement.
Les fines lamelles d’ormeau découpées devant nous et sans tapage ni rien, juste saisies au beurre noisette. Ah le beurre noisette, vous savez celui que vous saucez avec le pain caramélisé… Terrible ! Et cette mâche d’ormeau sauvage de Bretagne, tendre, juteuse, beurrée, je pourrais mâcher de ces lamelles par dizaines.
Le cochon de lait qui a rôti avec plein de choses dans son jus, notamment des épices. Il y a le morceau de chair tendre et il y a cette peau derrière presque brunie avec je ne sais quoi dedans, peut-être des cartilages qui craquent un peu plus et du gras aussi qui fond. Voilà, j’en ai l’eau à la bouche en l’écrivant (et il est 10h43). La purée derrière est de carotte, orange et safran, d’une finesse inouïe et d’une fragrance de nez. Il y a le jus aussi bien sûr, qui vous l’imaginez, finit dans mon pain.
Le dessert. Une poire pochée qui a gardé sa peau et des saveurs insoupçonnées. Elle est extrêmement parfumée en fait, « c’est une poire de jardin » me dira le chef plus tard. Servie avec une glace au caramel et des morceaux de biscuits sablés dont seul le chef a le secret (croustillant, salé, beurré à souhait).
Quelques gestes de cuisine et voilà, le repas est terminé. On est heureux de cette faim assouvie par une cuisine simple et à la fois extrêmement bien exécutée. Produits exceptionnels, cuisson, assaisonnement, sans un effet, sans une manière, non, la simplicité d’un grand talent de cuisinier… Sur la carte, le chef a indiqué « de la façon dont l’on se nourrit, décide du monde dans lequel on vit », tiens, ça me rappelle quelque chose dont on n’a fini d’entendre parler. Comme quoi, la simplicité, elle peut être visionnaire aussi.
Les prix ? Menu découverte à midi à 25 € (qu’attendez-vous !) et à 39 € le soir et menus à 69 et 99 €. Fermé samedi midi et dimanche
Table, 3 rue de Prague, 75012 Paris, 01 43 43 12 26, métro Ledru Rollin